Intriguée, je me suis levée pour regarder par la fenêtre. J’aperçus une jeune femme. Je compris alors pourquoi mon frère criait mon nom avec tant d’insistance. Cette jeune femme c’était ma meilleure amie d’enfance, Akofa. Je ne l’ai pas revue depuis la dernière année de collège, cela fait une dizaine d’années. Sa famille avait déménagé et s’était installée à Kpalimé, une ville située à 120 kilomètres au nord ouest de la capitale Lomé.
C’est ainsi que je me suis précipitée hors de ma chambre, traversant le salon telle une fusée pour me ruer sur elle.
Akofa : Attention, tu vas me faire tomber hein ! Donc tu n’as pas changé.
Moi : Tu sais que j’ai toujours refusé de changer ! Surtout en ce qui concerne mon enthousiasme ! Je suis trop contente de te revoir ! Ça fait tellement longtemps !
Akofa: Oui ça fait longtemps !
Moi: Viens t’asseoir, je vais te donner de l’eau. On a tellement à se dire…Quand es-tu arrivée à Lomé?
Akofa: Hier. Je suis venue voir une amie. Je repars demain. J’ai appris que tu étais rentrée d’Egypte alors je suis passée te voir.
Après les salutations d’usage, nous commencions à discuter, les fous rires se succédaient jusqu’à ce que je ne pose la question fatale:
– Alors comment va ta famille ?
Après cette question, le visage de mon amie s’assombrit.
– Je n’ai plus de famille. Répondit-elle, la gorge serrée.
– Oh…Pourquoi dis-tu cela?
– Novigné (ma petite soeur) … Je suis passée par tant de choses depuis notre déménagement…
J’aimerais tout te raconter mais je ne sais pas par où commencer. Toutefois, je vais essayer de te conter mon histoire. Là voici: A notre arrivée à Kpalimé, mon père a arrêté de payer mes frais de scolarité sous prétexte qu’une fille qui a fréquenté jusqu’au collège a suffisamment de diplômes pour se débrouiller. Je me suis donc retrouvée à vendre du kanklo (bananes plantains frits) afin de payer moi-même mes études. Cependant, arrivée en classe de 1ere, j’ai rencontré un jeune homme avec qui j’ai commencé à flirter. Il était tellement gentil. Aussi, il disait m’aimer jusqu’au jour où je lui ai annoncé que j’étais enceinte. Je me rappelle encore de ce qu’il m’a dit :
Débrouille toi! Qu’est-ce qui prouve que je suis le père de ton enfant?
Ce jour là, le ciel m’est tombé sur la tête. J’étais malgré tout décidée à garder cette grossesse mais j’allais très vite changer d’avis. Mon père, à l’annonce de la nouvelle, est tombé dans une colère noire. En quelques minutes, j’ai retrouvé mes affaires au portail en pleine nuit. Je ne comprenais rien.
Ne dit-on pas souvent qu’un enfant est source de bonheur? Un enfant n’est-il pas une bénédiction? Pour mon père, ma grossesse était un déshonneur, une humiliation voire un péché.
Je ne veux pas d’un enfant bâtard dans ma maison.
C’est la phrase que mon père m’a lancée. Je me suis retrouvée à la rue malgré les supplications et les pleurs de ma mère et moi.
N’ayant nul part où aller, j’ai trouvé refuge chez une camarade plus âgée que moi qui vivait seule. Cette dernière me conseilla d’avorter. En échange, elle me laisserait vivre chez elle. Elle ne voulait en aucun cas avoir à nourrir une mère et son enfant. Je n’avais aucune famille, mon père nous ayant habitué mes petits frères et moi, à vivre loin de tous.J’ai donc avorté avec douleur. Des nuits entières je ne dormais pas à cause des douleurs physiques et des remords. Ce fut atroce.
Maintenant, je suis mariée mais je ne peux enfanter. En conclusion, mon père ne veut toujours rien savoir de moi. Ma mère quant à elle, reste toujours silencieuse.
Après ce récit, je suis restée inerte, triste. Comment consoler dans ce cas là ? Aucun mot ne pouvait la consoler! Je n’ai pu dire que cette phrase: « Je suis vraiment désolée. » Avant que je n’ajoute autre chose, Akofa s’est rendue compte qu’il était l’heure pour elle de prendre congés de moi. Toutefois, elle me promit de revenir la semaine suivante pour qu’on en discute davantage.
Toute la journée je n’ai cessé de penser à son histoire et je me posais la question de savoir ce que j’aurai fait dans son cas. Je n’ai jusqu’à présent aucune réponse à cette question. Mais s’il y a une chose que je sais c’est que l’éducation sexuelle des enfants devient de nos jours un sujet important. En outre, aucun enfant, fille ou garçon ne mérite de se voir refuser une éducation scolaire de qualité. Pour certains parents, une fille instruite « ne sert à rien » car elle trouvera un homme qui prendra soin d’elle. Pour d’autres, le sexe est un sujet tabou. C’est de ces bien tristes manières de penser qu’a été victime mon amie. Le pire c’est que les victimes s’en sortent souvent avec des séquelles et s’en remettent difficilement.
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