Oups ! Il était déjà 8 heures. Je n’ai pas entendu mon réveil sonner. Après avoir rapidement fait mes travaux domestiques, je pris un bain bien chaud, enfilai une robe et sortis en trombe de la maison. Maintenant il fallait trouver un zed[1] et être à mon rendez-vous avant 10 heures. Je marchais me demandant pourquoi la rue dans laquelle il était habituellement facile de trouver un conducteur de taxi-moto était si déserte ce matin. J’étais en pleine réflexion lorsque j’entendis : « Oléyia ? [2]». Est-ce une voix de femme que je viens d’entendre ? La personne à moto me dépassa et s’arrêta un peu plus loin. Serait-ce… ? Surprise, je m’approchai pour en avoir le cœur net. Eh Inda ! Ta curiosité te jouera un tour un jour. C’était une dame d’une trentaine d’années avec une forte corpulence.
Moi: Bonjour !
Elle: Bonjour ! Répondit-elle avec un sourire.
Moi: Je vais à Agoè deux lions[3].
Elle: Vous descendrez au carrefour?
-Oui. Combien ?
-600 pèèèèèè… (600francs[4] seulement)
-Oh 500 kpoé lé assigné (Je n’ai que 500francs) .
-Okay, problème mou léo (Okay, pas de problème).
C’est à ce moment que je me suis rendue compte qu’elle était vraiment une zedwoman. Vous me demanderez pourquoi j’étais surprise. Non, mon attitude n’était pas celle d’une sexiste mais celle d’une personne en face d’un fait inhabituel. Au Togo, vous verrez beaucoup de femmes conduire des motos. D’ailleurs, dans mon pays, les motos sont plus nombreuses que les voitures. Elles sont considérées comme rapides et permettent un accès facile à certaines zones. Ainsi, les conductrices ne sont pas rares mais, très rares sont les femmes qui en font un métier. Je montai donc sur la moto de cette femme en jeans bleu, t-shirt noir, gants noirs et « All Star » aux pieds. Au cours du trajet, plusieurs questions me défilaient dans la tête tandis que ma conductrice fredonnait d’un air joyeux « Ma Girl» de Toofan. Je finis par sortir une question :
-Euh… Excusez-moi hein, ne vous fâchez pas mais vous faites ce métier depuis ?
-Oui, cela fait trois ans.
-Okay.
Je crois qu’elle avait compris que j’étais restée sur ma soif et que je lui aurais posé une multitude de questions si j’en avais l’occasion. Elle continua donc :
Vous savez, la vie est dure maintenant à Lomé et avec deux enfants à charge je ne peux me permettre de rester tranquillement chez moi. Ce sont les circonstances de la vie qui m’ont amené à faire ce métier. J’étais commerçante et il y a 4 ans après l’incendie du grand marché de Lomé, j’ai tout perdu. Les revenus de mon mari, agent de sécurité, n’étant pas suffisants pour subvenir aux besoins de la famille, j’ai décidé d’utiliser ma moto pour faire du zémidjan. Aussi, nos enfants grandissent et je ne veux pas qu’ils abandonnent tôt les études comme je l’ai fait. Voilà comment je me suis retrouvée avec un cumul de poste : le poste de maman et celui de zedwoman. Conclut-elle ironiquement.
– Je vous trouve très courageuse.
-Merci ! En fait pour moi c’est un métier comme les autres. J’arrive à le concilier avec ma vie de femme mariée et de mère car je décide moi-même de mes horaires.
-Je vous avoue que j’étais un peu surprise (Un peu ? Menteuse ! Beaucoup oui !)
-C’est normal. Les clients sont parfois sceptiques lorsque je leur propose mes services, surement parce qu’une femme dans ce métier c’est rare. Quant aux zedmen, ils sont plutôt gentils à mon égard.
Elle venait à peine de finir cette phrase quand…
-Qu’est ce qui se passe ?
-Je crois que ma moto a un problème.
La moto commença à ralentir puis s’arrêta. Ses efforts pour la redémarrer furent vains. Elle tira alors l’engin capricieux sur à peu près 100 mètres et s’arrêta près d’un groupe de zedmen qui apparemment la connaissait. Je l’attendais lorsqu’elle revint vers moi avec un autre conducteur de taxi-moto et me confia à ce dernier.
-Il vous déposera à destination. Au fait, je m’appelle Sitou. Dit-elle avec un large sourire.
-Moi c’est Inda.
-Enchantée Inda!
-Enchantée !
Je lui payai la distance que nous avions parcourue tout en lui souhaitant une bonne journée et du courage.
Je montai sur la moto de mon nouveau conducteur et durant le trajet, cette phrase de Gérard de Nerval me vint en tête : « Une femme est l’amour, la gloire et l’espérance ; aux enfants qu’elle guide, à l’homme consolé. Elle élève le cœur et calme la souffrance, comme un esprit des cieux sur la terre exilé ».
[1] Zed ou zem ou zemidjan : taxi-moto. Un conducteur de zed est appelé zedman
[2] Oléyia, (mot en mina, la langue la plus parlée au Sud du Togo) littéralement veut dire « Tu vas ? ». Ce mot est souvent utilisé par un client pour interpeller un zedman ou vice versa
[3] Agoè deux lions est un quartier de Lomé. « Deux lions » à cause d’un carrefour où se dresse une statue des deux lions des armoiries du Togo
[4] Au Togo on utilise le Franc CFA (XOF).
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