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Ma rencontre avec Manu Dibango : une discussion intéressante sur la musique en Afrique

  Bonjour à tou.te.s !

Oui, je commence mon billet ainsi car j’ai conscience que j’ai laissé ce blog en jachère trop longtemps. Lol. Cette fois-ci, je suis de retour pour un bon moment. Aujourd’hui, je vais vous parler d’une rencontre très intéressante avec un artiste dont la réputation traverse le temps et les générations : Manu Dibango.

Manu Dibango – Crédit photo : Ayrton FERREIRA PINTO

Il y a quelques jours, je publiais sur les réseaux sociaux, une photo de Manu Dibango et moi. Suite à cette publication, un ami m’a encouragée à écrire un article sur la rencontre. Je vais donc vous donner des détails sur cette discussion.

Le saxophone est l’outil de prédilection de Manu Dibango – CCO Domain, via Pixabay

Le 08 février, une rencontre avec Manu Dibango a été organisée par le Master Création Contemporaine et Industries Culturelles de l’Université de Limoges et Horizons Croisés (une association de diffusion de spectacles, promoteur local). J’ai eu le plaisir de faire partie de l’équipe d’organisation et d’assister à cette rencontre en petit comité.

Il est onze heures quand il arrive à la présidence de l’Université de Limoges. Notre Manu Didi international est tout de suite décontracté. Alors que j’appréhendais la rencontre, j’ai le sentiment à ce moment-là que la discussion va être sans prise de tête. Ce fut effectivement le cas pendant une heure d’échanges dont les principaux points abordés sont les suivants :

1- La musique en Afrique

A la question de savoir comment il qualifie sa musique, Manu Dibango nous a fait comprendre qu’il ne la qualifie pas particulièrement ou ne la classe pas dans un style particulier. Il nous explique qu’il propose ce qui lui vient :

Dans ma tête il n’y a pas de frontières justement. Chez un artiste il y a cette note avec des milliards de possibilités donc chacun choisit les harmonies qu’il entend. On est libre au départ.   

Ainsi, pour lui, l’artiste est un capteur qui restitue ce qui lui vient.

Concernant la musique en Afrique francophone, pendant la colonisation, il nous raconte qu’on ne parlait pas de circulation de la musique. Cela était dû au fait qu’il n’y avait pas de radio disposant d’ondes à grande portée. Ainsi, comme « Radio Club » (une station belge de faible portée qui émettait depuis le bassin du Congo), les pays d’Afrique francophone n’avaient que de petites stations radio qui émettaient jusqu’à vingt-deux heures.

C’est en 1943, suite à la première visite à Brazzaville du général De Gaulle, que fut créée Radio Brazzaville, station d’abord militaire. La radio congolaise émettait jusqu’à quatre heures du matin et couvrait énormément d’espace car elle était très puissante. On pouvait écouter de la musique congolaise, d’où l’immense succès de cette musique et de la Rumba. Cette dernière, originaire du Cuba, a principalement été introduite au Congo par les Africains qui revenaient d’Amérique. Ceux-ci étaient transportés dans des bateaux qui accostaient le long du golfe de Guinée :

La rumba c’est un peu le retour du bateau.

Les Africains se sont ensuite accaparés cette musique qui a évolué en fonction des différents pays. Ainsi, la rumba congolaise était différente de la rumba au Cameroun, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Chaque artiste l’adaptait en fonction de son environnement.

Cependant, l’expression « circulation de la musique » a pris tout son sens en Afrique après la colonisation, puisque des frontières étaient installées et les artistes africains commençaient à se professionnaliser. Il fallait donc pour les nouveaux dirigeants africains, mettre en place des institutions de gestion des droits d’auteur en s’inspirant de la Sacem[1] (Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique). Dès lors, l’Afrique peine à mettre en place tous les dispositifs pour une bonne circulation de la musique. En effet, pendant l’époque coloniale, la Sacem avait été implantée dans les colonies françaises mais après les indépendances toutes les institutions françaises se sont retirées sans avoir au préalable procédé à un transfert de compétences.

A cet instant précis, j’ai pensé à ceci : chaque pays africain devrait mettre en place des règles spécifiques aux contextes culturelles en évitant cette tendance au copier-coller. S’inspirer des autres ne veut pas dire les imiter. Nous n’avons pas les mêmes réalités.

Mais, revenons à Manu Dibango. Pour lui, il n’existe pas une musique africaine mais plutôt des musiques africaines. Selon lui, utiliser l’expression « musique africaine » c’est comme dire que l’Afrique est un pays. Chaque pays africain a une identité qui lui est propre avec différentes ethnies. Ces dernières se distinguent par leurs histoires, leurs musiques, leurs rythmes, leurs langues et leurs traditions.

Avant les indépendances, on distinguait une musique africaine mais maintenant il existe des musiques africaines. Puis, la numérisation et l’internet sont apparus entraînant désormais une vulgarisation de la musique et une perception différente de cette dernière. Avant, on écoutait de la musique mais maintenant avec le numérique, on la consomme.

Les participants à la rencontre  – Crédit photo : Ayrton FERREIRA PINTO

 

2- L’avantage de l’internet pour les musiques africaines

De cette rencontre, il est également important de retenir que l’internet a une influence considérable sur la musique puisque les frontières disparaissent. L’instantanéité, l’internationalisation, l’accès de plus en plus important aux données qu’a créés le web 2.0, doivent être pris en compte par les artistes car cela a un impact sur les choix de consommation des publics. Cependant, Manu Dibango note un risque qu’entraîne le progrès sans cesse croissant de la technologie :

Avec la mémoire artificielle, les rythmes risquent de se ressembler pratiquement parce qu’il est possible de régler plus vite la boite à rythme qui donne maintenant l’impulsion. Ce n’est donc plus le vieux tam-tam qu’on entendait avant. C’est donc plus facile pour les jeunes. C’est pour cela que je dis qu’avec l’internet, les jeunes consomment la musique, et qu’ils ne l’écoutent pas. Mais il y a toujours des gens qui écoutent et qui sont des amateurs de musique.

Il poursuit en donnant l’exemple de ses petits-enfants :

Moi quand je vais à la Fnac avec mes petits-enfants, ils me regardent d’une manière bizarre quand je paie des disques parce qu’ils ont leurs artistes sur leurs smartphones et les écoutent pendant trois semaines puis après ils passent à autre chose.

Nous avons ensuite rebondi sur cette différence générationnelle qui peut impliquer un désintérêt de la jeunesse actuelle pour le jazz au détriment des musiques urbaines. Il nous répond tout en sourire que pour lui, avoir un public qui se renouvelle c’est une chance. Puis il poursuit :

Quand vous suivez la mode c’est court mais quand vous aimez la musique c’est différent. Je pense que mon public est pour l’instant amoureux du son. Par contre plusieurs personnes sont maintenant amoureuses du visuel, de la danse et de ce qui se passe dans les clips. Avant c’était les oreilles, maintenant ce sont les yeux.

Enfin, nous avons discuté d’un sujet très intéressant : la restitution des œuvres du patrimoine des pays africains par la France. Cependant, je vous donnerai plus de détails sur ce sujet dans un prochain billet. C’est ainsi que nous avons conclu la séance d’échanges ce jour-là avec notre Manu Didi.

Manu Dibango et moi  – Crédit photo : Inda ETOU

 

Par ailleurs, plusieurs thématiques restent encore à aborder sur la culture africaine et feront l’objet de mes prochains billets. N’hésitez pas me donner, en commentaire, vos avis sur les différents points abordés lors de cette rencontre avec Manu Dibango. J’en serai ravie ! Pour l’instant je vous dis à très bientôt ! 🙂

[1] La Sacem est l’institution dont l’une des fonctions est de s’occuper des droits d’auteur en France.

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Auteur·e

inda

Commentaires

St. Eyram
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Bravo Inda et merci pour ce billet !

Je rejoins également Manu par rapport à ce risque du progrès technologique sur la musique ; je dirai même que c'est une menace qui dénature progressivement les bases de la musique. Il serait peut être intéressant de revenir plus profondément sur ce sujet, en faire une etude et proposer des solutions permettant d'utiliser ce progrès technologique qui n'est pas prêt de s'arrêter, pour valoriser cette musique sans la dénaturer.

Nous consommons vraiment la musique.

Inda
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Merci Eyram. Concernant l'étude, c'est une bonne idée! Ce sujet fait partie justement des thèmes abordés dans un travail que je fais actuellement. J'espère que j'aurai l'occasion de présenter ce travail une fois fini. Merci pour ta suggestion.:)