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Musique togolaise : le bluesman Jimi Hope n'est plus

(Ce billet-hommage est co-écrit avec Roger Mawulolo )

Evacué sur Paris en France suite à une maladie, Jimi Hope, le rocker, bluesman, sculpteur et peintre togolais ne reverra plus son cher pays le Togo. Il a passé ses instruments à gauche dans la nuit du dimanche 4 au lundi 5 août. L’émotion est grande.

Jimmy Hope – Crédit : rfi.fr © Pierre René-Worms/RFI

 Agbébavi [Inda]

Le titre est évocateur : « Le souci de vivre ». Cette chanson est d’ailleurs la préférée de Roger et moi. Je me suis juste prononcée la première lors du choix. Lol. Une petite traduction puis je vous explique pourquoi je la trouve si particulière :

Le temps des belles choses ne passe jamais, la seule chose dont nous devons nous soucier est de vivre. C’est ma grand-mère qui me l’a dit avant de me quitter. Elle a dit : « Il y a un temps pour les souffrances et un temps pour le bonheur. » Elle a dit : « Aussi loin qu’un pays soit, il ne pourra être visité que par un être humain. Même s’il fait chaud dans une chambre, ce n’est qu’un être humain qui peut y vivre. L’on ne peut se jeter dans le feu à cause du froid. »

C’est beau n’est-ce pas ? Voire poétique !

Je pense que cette chanson dont les paroles traversent le temps fait partie des meilleures de Jimi Hope. Elle ne peut être résumée en un seul mot mais si j’étais dans l’obligation de le faire, je dirai qu’elle parle d’espoir. La réussite se construit, c’est un processus et baisser les bras lorsque les difficultés pointent le bout de leur nez n’est pas envisageable. C’est cette vérité qui est si bien agencée dans « Agbébavi » au travers de belles tournures de phrases, d’expressions sages avec en fond un mélodieux mariage de guitare et d’harmonica joués par l’artiste. La simplicité de la chanson, la voix rauque de Jimi, tout cela fait un cocktail qu’on ne peut se lasser d’écouter.

Souvent lorsque des amis et moi organisons de petites retrouvailles ici et que nous avons une guitare sous la main, cette chanson fait partie de celles que nous fredonnons. Le fait qu’elle soit chantée dans une langue traditionnelle togolaise (l’Ewé), que la musique soit si douce et que les paroles soient sages et si belles nous plonge un instant dans une bulle, nous rend nostalgiques et nous rappelle notre pays. Ce n’est pas tout, « Agbébavi » nous renseigne également sur la sagesse des personnes âgées, leur importance et la place particulière qu’occupe l’oralité dans notre société africaine. Ce sont deux générations qui communiquent dans cette chanson !

It’s too late [Roger]

Dans ce morceau Jimi Hope illustre bien l’adage disant que celui qui n’a pas encore traversé la rivière ne peut se moquer de celui qui se noie. Il l’explique avec l’image de la taille du groin du porc et de la mâchoire du caïman. Leurs petits qui demandent à leurs parents pourquoi ces membres sont aussi longs. Ce qu’ils ne comprendront que plus tard, lorsqu’ils auront le même âge, que cela est inné à leur race.

Le titre de cette chanson était devenu une véritable réplique à beaucoup de questions à l’époque. Dès que vous posez une question à un interlocuteur et que vous étiez un peu en déphasage ou en retard, l’on vous répondait « It’s too late ». Même lorsque vous pensiez courtiser une fille et que son cœur est déjà pris, l’on vous renseigne par « It’s too late ».

Cette chanson nous enseigne qu’il ne faut jamais se moquer de la condition de ses propres parents ou de sa propre famille lorsque l’on croit qu’ils n’ont pas fait assez que ce soit sur le plan matériel, moral ou social. A terme, nous pourrions tus être confrontés au même problème. Et cette expression « It’s too late » comme mot de fin.

La moralité de la chanson est de prendre le soin de bien analyser la situation des autres et la nôtre avant d’émettre des jugements. Ce qui nous permettra d’anticiper notre propre condition pour l’avenir. Mieux l’on saura ce qui est immuable ou non.

Agbébada [Inda]

Agbébada ou « la mauvaise vie ». Voilà une autre chanson de l’artiste que je ne me lasserai jamais d’écouter. Ce qui fait des titres de l’artiste des œuvres intemporelles sont ses vérités et ses paroles pleines de sens et le titre Agbébada ne déroge pas à cette règle. Cet hymne à la paix nous appelle à penser nos actes avant de les poser car la vie est courte. Eh oui ! La vie est très courte et il en a été touché en nous quittant à l’âge de 63 ans.

Voici les principales paroles de ce morceau : « Que la mauvaise vie disparaisse et que la lumière éternelle nous vienne ! Qu’elle nous vienne ! Méchants, pensez à demain, la mort existe. Croyant, où es-tu, où est ta foi ? C’est pitoyable. La mort existe, faites attention. »

Cette chanson retentit plus que jamais comme un avertissement et un conseil dont nous devrons nous rappeler lorsque nous posons nos actes. Ce que Jimi véhicule dans cette chanson peut se résumer en cette phrase : « Vanité des vanités, tout est vanité ». Il ne sert donc à rien d’être méchant et de se croire tout puissant lorsque nous savons que nous finirons sous terre peu importe notre statut social ou notre puissance. La chanson clame la paix et l’amour entre tous. Même si l’instrumental est souvent privilégié dans ses chansons, Jimi Hope a écrit des textes profonds et pleins de sens.

I can’t take it [Roger]

A l’époque, nous n’avions même pas besoin de comprendre le sens de cette chanson car elle était totalement en anglais. Pourtant nous l’avons tous aimé et chanté à tue-tête. Elle était la chanson de la célèbre émission « Télé Loisirs » qui passait sur la chaîne nationale, la Télévision Togolaise (TVT). En ces temps, il n’y avait pas foison de chaînes de télévision et Internet.

Dès que ce générique était lancé, beaucoup de personnes se rassemblaient dans la cour de notre maison. Et notre poste téléviseur était placé alors dans la cour pour que tout le monde puisse suivre. Tout le monde chantait et à une des parties instrumentales, l’on nous entendait tous crier « D’évia ntô so ka tchi kô, gaké ésé vévé » (l’enfant s’est pendu mais il a eu mal). Je ne sais plus si c’est Jimi Hope lui-même qui avait attribué ces paroles à cette partie instrumentale.

Nous étions enfants, et nous avions créé un orchestre fictif dans notre maison. Les guitares et les micros étaient juste des tiges en bois. Les batteries étaient des vieux bidons. Il fallait nous voir lancer nos « concerts » (avec nous-mêmes comme public) avec « I can’t take it » de Jimi Hope. Nous tentions d’imiter la voix, la posture et les gestes du rocker. Nous ne manquions pas de courir derrière lui lorsqu’il passait dans notre quartier à Nyékonakpoè. Il y avait des amis et de la famille et y était fréquent.

Une empreinte indélébile

Jimi Hope aura marqué plusieurs générations dont celle de nos parents et la nôtre. Nous pensons qu’elle marquera aussi les générations à venir car sa musique fait partie de notre patrimoine culturel et particulièrement de notre patrimoine musical. Ce grand artiste qui aura passé sa vie à peindre, sculpter et chanter restera l’un des plus talentueux du Togo. Il a aussi aidé beaucoup de jeunes en les initiant soit à la musique, à la peinture ou à la sculpture.

Comme tu l’as chanté toi-même « Ewoé, ékou lé lo… » (Mince, la mort existe), tu n’as pas raté ton rendez-vous avec elle.

Au revoir Jimi et que la terre te soit légère….

Roger Lasmothey et Inda Etou

Vous retrouverez aussi ce billet sur le blog de Roger à l’adresse : https://bit.ly/2kmWh3P

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Auteur·e

inda

Commentaires

M. Sodi
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Merci à vous Inda et Roger pour cet hommage rendu à notre Jimmy. Il était mon préféré et ses chansons resteront mes préférées. Nul ne manquera à ce rendez-vous.
À Dieu Jimmy ❤️❤️❤️

Inda
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Merci cher ami ! Et oui, il a été un artiste accompli et mérite tous les hommages.Puisse-t-il reposer en paix.

Mensah
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Chapeau! Vous lui avez rendu un bel hommage à notre Jimi.

Inda
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Merci dadagné ! ;)